Dre Julie Dauphin est psychologue clinicienne et fondatrice de l'Institut Minerve à Montréal. Elle a pratiqué dans les milieux communautaires, en 1ère ligne (CLSC - Santé mentale adulte) et en 2ème ligne (psychiatrie adulte). Elle enseigne depuis 2005 à titre de chargée de cours et de superviseure de stage à l'Université de Montréal. Elle a développé une expertise particulière en psychopathologie et en évaluation par les tests auprès de clientèles présentant des problématiques sévères et/ou complexes (troubles de la personnalité, psychose). Son approche est ancrée dans les modèles psychodynamiques, et intègre des modalités diverses qui tiennent compte des besoins, des préférences et des demandes du client.
Quels sont vos domaines d’expertise?
J’ai mon permis de pratique depuis 2008. Assez tôt dans ma formation, j’ai été initiée à la formation par les tests. Lors de mon premier internat, ma superviseure, Gisèle Denault, faisait de l’évaluation pour les jeunes adultes au moment où ils vivaient leurs premiers épisodes psychotiques. Assez tôt, je me suis donc intéressée à l’évaluation. J’ai vraiment eu la piqûre! Et c’est resté depuis. Très tôt également, j’ai été passionnée par l’arrimage entre le diagnostic et le traitement. Le diagnostic n’est pas une étiquette: il s’agit vraiment de comprendre ce qui se passe pour la personne et d’adapter le traitement en conséquence. C’est le fil conducteur de toute ma carrière. Mon temps aujourd’hui est partagé entre la supervision, la formation et la psychothérapie. Et depuis 3 ans, j’ai recommencé à faire de l’expertise, toujours autour de cette question de l’évaluation de la personnalité, de la psychopathologie et du diagnostic différentiel.
Quels tests aimez-vous utiliser dans votre pratique?
Ça dépend des questions qui me sont posées, mais je dirais que mon principe directeur c’est de toujours combiner des tests différents, parce qu’on sait que la méthode psychométrique crée des biais en elle-même. Ceux qui reviennent beaucoup c’est le MMPI, le Rorschach, le TAT et parfois WAIS-IV. J’ai aussi un petit lot de questionnaires de base que j’administre et que j’adapte selon la présentation symptomatique. Cela me permet d’être un peu plus exhaustive et d’être sûre que je ne passe à côté de rien. L’évaluation est une démarche qui est très longue et coûteuse en temps et en frais d’honoraires. Mais c’est toujours très pertinent dans des cas où il y a des questionnements par rapport au risque d’évolution vers une psychopathologie un peu plus sérieuse. Donc les jeunes adultes avec des fragilités au niveau de la personnalité, ou qui seraient dans les prodromes de trouble bipolaire, ou de schizophrénie, par exemple. Un autre champ d’intérêt que j’ai développé plus récemment est la question des hauts potentiels. Il est très intéressant de faire l’évaluation du haut potentiel dans le contexte d’une évaluation de la personnalité, et non pas juste l’aspect plus strictement « neuropsychologique ». Que ça soit le haut potentiel, la psychose ou la dépression majeure, ce qui m’intéresse est de voir l’interface entre la structure de la personnalité et l’expression de la psychopathologie chez mes patients, pour les comprendre au mieux. C’est vraiment des puzzles à résoudre ! Et d’après moi, le processus d’évaluation est thérapeutique en soi.
À quel moment avez-vous su que vous voudriez être psychologue?
(Rires) Très tôt ! Ma mère travaillait en psychiatrie comme secrétaire médicale. Je suis allée à la garderie là…sur le terrain de l’hôpital. J’ai passé ma vie à l’hôpital ! Je dirais vers 15-16 ans, c’est devenu assez clair que j’allais prendre cette direction-là. En revanche, l’enseignement, c’est vraiment venu par hasard…À un moment donné, j’étais auxiliaire d’enseignement puis le prof devait s’absenter pour un colloque. Avec son matériel, j’ai donné un cours de psychopathologie et j’ai eu la piqûre. Je n’avais aucune idée que je pouvais aimer l’enseignement. Ça ne m’avait jamais traversé l’esprit. Mais c’est un peu comme avec l’évaluation, ça a été un coup de foudre.
Qu’est-ce qui vous a « piquée » dans l’enseignement?
Le fait que l’on doive expliciter nos choix et notre façon de faire les choses. Quand on est dans notre bureau avec nos patients, à un moment donné, on est un peu sur le pilote automatique. À travers l’enseignement et la supervision, on doit rendre explicite notre manière de travailler. Donc ça me permet d’être, je pense, une meilleure clinicienne. L’enseignement me permet aussi de créer un contact avec l’autre. Il y a un plaisir partagé de trouver quelque chose utile, ou de voir les choses autrement, ou de réfléchir à des problèmes. Soudainement, on se retrouve dans le même carré de sable. Contrairement, quand je suis avec mes patients, je suis le parent dans la pièce. On apprend énormément de nos patients, mais quand même il y a une asymétrie inhérente là. Alors que quand on enseigne, on parle la même langue [que nos étudiants]. Et c’est ça le plaisir que j’ai.
Pourquoi avez-vous choisi l’approche psychodynamique?
L’approche psychodynamique est mon approche de fond. Je pense qu’au départ, cela vient des démarches thérapeutiques personnelles que j’ai faites. C’est ce qui résonnait le plus pour moi et qui a été le plus aidant. Mais je crois qu’il faut faire une distinction entre la compréhension clinique et le traitement. Quand on dit « approche », c’est un terme qui prête à confusion…l’approche thérapeutique ou l’approche qui me permet de construire ma compréhension clinique…ce n’est pas la même chose. Je peux avoir une compréhension clinique du fonctionnement de la personnalité d’un patient psychotique, ça ne veut pas dire que je vais faire de la psychothérapie analytique exploratoire avec cette personne-là. Pour l’approche de traitement, je travaille avec ce qui est utile. Mon identité n’est pas reliée à une modalité ou une approche de façon très marquée. Ma compréhension clinique plus, surtout en ce qui concerne le fonctionnement de la personnalité. Je m’adapte beaucoup à la personne que j’ai devant moi.
Qu’est-ce qui est le plus difficile dans l’application du modèle structural de la personnalité?
La première, c’est que c’est un modèle qui prend du temps à intégrer pour le clinicien. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut lire puis après on est capable de reconnaître et classifier chaque patient. Ça prend du temps à faire les liens entre nos expériences cliniques et la théorie du modèle structural. Et puis une fois qu’on se l’est approprié, on se rend compte que le modèle structural est dimensionnel; sur un même critère structural, la personne peut se situer à différents niveaux. Mais il est aussi catégoriel, dans le sens où on va regrouper le fonctionnement de la personne en 3 grandes structures: névrotique, limite (haut et bas niveaux) et psychotique. C’est des repères. Donc une des difficultés d’application c’est qu’il arrive de ne pas pouvoir situer un patient dans une de ces trois grandes structures. En particulier quand il y a des éléments traumatiques importants. Quels sont vos objectifs ou les prochaines étapes dans votre carrière? J’aurais aimé faire un peu plus de recherche. Avoir la disponibilité et le temps pour le faire, mais ce n’est pas le cas. Je pense que ma façon de faire contrepoids à ça, c’est de développer davantage toute la question d’expertise et de donner un peu plus de place à l’enseignement. Ça me permet moi, cliniquement, de continuer d’avancer.
Gabrielle Ciquier, M.Sc., M.A.