Controverse autour du MMPI-3 : Entretien avec le Prof. Jean Gagnon


Une main tient un crayon au dessus d'une feuille de test

Generated by AI Midjourney and a Pierre-Marie Houdry prompt



La récente publication du MMPI-3 a déclenché un vif débat parmi les scientifiques. Bien que présenté comme une nouvelle version du célèbre inventaire de personnalité, le MMPI-3 diffère considérablement de son prédécesseur, le MMPI-2.

Le MMPI-2 est un outil de personnalité qui sert à diagnostiquer, décrire et guider les interventions thérapeutiques. Il identifie la dynamique psychologique de l'individu, se démarquant des autres instruments auto-rapportés grâce à son approche empirique.

C'est quoi, l'approche empirique ?

L'approche empirique permet d'établir des liens objectifs entre les réponses aux items et des caractéristiques cliniques ou diagnostiques spécifiques, et ceci peu importe le contenu des dits items. Ainsi, le MMPI-2 ne présume pas quels items seront endossés par un groupe particulier (ex. un groupe de personnes atteintes de schizophrénie). Les items d'une échelle sont sélectionnés uniquement s'ils permettent de différencier un groupe clinique du groupe normatif.

De plus, l’interprétation du profil du client tiendra compte uniquement des relations empiriques avérées entre l'élévation sur deux ou trois échelles, appelées « code type », et le diagnostic ou les traits de personnalité des individus partageant le même code type, tels que le concept de soi ou les relations interpersonnelles. Cette approche offre donc une évaluation objective de la personnalité.

Cependant, le MMPI-2 présentait certaines limites, notamment des échelles mesurant des traits similaires et partageant des items en commun. Cela rendait l'interprétation des scores complexe et diminuait la validité discriminante entre les échelles cliniques de base.

Est-il possible de contourner ces limites ?

En partie : pour résoudre ces problèmes, l'éditeur a d’abord introduit les échelles cliniques dites restructurées qui s’interprètent en complémentarité avec les échelles cliniques de base, puis il a introduit une alternative complète au MMPI-2, mais comportant le même nom: le MMPI-2-RF (Restructured Form).

Le MMPI-2-RF n’a plus les échelles cliniques de base sur lesquelles reposent les codes types et l’interprétation du profil basée sur l’approche empirique. Le MMPI-2-RF propose à la place les échelles cliniques restructurées ainsi que d’autres échelles créées avec la même approche d’analyse factorielle basée sur le contenu des items. Il en résulte des échelles plus pures et discriminantes au niveau du contenu, mais qui n’ont plus rien à voir avec les données empiriques des 70 années de recherche documentant les relations empiriques entre les codes types et les caractéristiques de personnalité associées. L’approche du MMPI-2-RF va donc à l'encontre de l'approche empirique qui faisait la force de l'outil.

L'approche de contenu se concentre sur le contenu thématique des items et leur pertinence pour des domaines spécifiques de la personnalité ou de la psychopathologie. Par exemple, dans le MMPI-2-RF, le bassin des 567 items du MMPI sont sélectionnés et regroupés en échelles basées sur leur contenu thématique, plutôt que sur leur capacité à discriminer différents groupes de participants. L'interprétation des scores repose sur l'hypothèse que des scores élevés ou bas reflètent des niveaux élevés ou faibles de la caractéristique ou du symptôme représenté par le contenu des items.

Contrairement au MMPI-2-RF, le MMPI-2 proposait une combinaison intéressante entre deux mondes psychométriques opposés (interprétation empirique et interprétation de contenu), qu'il est essentiel de bien maîtriser pour une interprétation correcte (voir notre formation sur le sujet).

Et le MMPI-3 dans tout ça ?

Lors de l'annonce en grande pompe du MMPI-3, les auteurs ont vanté une refonte totale de l'outil, rendant obsolètes toutes les versions précédentes. Or, le MMPI-3 est en réalité une version bonifiée du MMPI-2-RF. Il n’y a donc plus de codes types et par conséquent, plus d'interprétation basée sur des corrélats empiriques.

L'instrument est redevenu un inventaire regroupant des échelles misant sur l’interprétation de contenu. C'est un peu comme si les taches d'encre du Rorschach avaient été remplacées par des photographies avec un choix de réponse permettant de regrouper les personnes présentant une même condition. L'outil est devenu l'ombre de sa version originale : moins ambitieux et cliniquement moins riche.

Et maintenant ?

De nombreuses institutions et décideurs ignorent la différence entre la version 2 et la version 3 de l'inventaire. Le nom de l'outil laisse penser qu'il s'agit d'une version améliorée du même instrument, alors qu'ils ont en réalité peu en commun.

Il y a une pression naturelle pour adopter la dernière version, nous plaçant dans une situation difficile et conflictuelle : abandonner un instrument pour être "à la pointe" et perdre des éléments d'information importants pour notre pratique.

Il est essentiel de ne pas prendre pour acquis que nous sommes d'accord avec les choix faits par les psychométriciens ou les éditeurs d'un outil. En tant que psychologues et psychothérapeutes, nous avons la responsabilité et l'expertise pour choisir les outils les plus adaptés à nos clients.

Entretien réalisé par Gabrielle Ciquier, doctorante à l'université McGill et mise en forme par Prof Martin Drapeau et Pierre-Marie Houdry

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