Plusieurs raisons militent en faveur d’un plus grand intérêt pour les psychologues à intervenir auprès de ces personnes :
Ce phénomène est très répandu chez la population clinique, mais aussi dans la population générale – une personne sur dix selon une vaste étude épidémiologique (Maijer et al., 2018).
On a fait la démonstration que plusieurs d’entre elles souhaitent recevoir un traitement psychologique (Berry et al., 2022; Longden et al., 2023).
La médication antipsychotique n’améliore pas l’expérience d’entendre des voix pour une proportion relativement élevée – de 25 à 50 % (Newton et al., 2005) – et son emploi est lié à des effets secondaires importants (Berry et al., 2022). « ... les thérapies psychologiques offrent [donc] une forme de traitement plus sécuritaire et collaborative » (p. 2, traduction libre).
Le fait que les voix – dans le nouveau paradigme qui veut qu’on en comprenne le sens – ne sont plus abordées strictement comme des symptômes, a permis de développer des approches thérapeutiques spécifiques aux voix (Hayward et al., 2015).
Dans l’étude de Maijer et ses collègues, on a fait ressortir une prévalence plus élevée chez les enfants et les adolescents (12 %). Les psychologues, par leurs connaissances spécifiques, pourraient agir en amont pour prévenir la détérioration de l’état mental de jeunes qui entendent des voix.
La regrettée Sandra Escher, dans son étude longitudinale auprès de jeunes qui entendent des voix, a mis en relief que le fait d’accepter l’expérience d’entendre des voix comme étant réelle et d’explorer les problèmes à la source de cette expérience (par exemple une situation d’intimidation à l’école) et en normalisant le fait qu’il n’est pas rare que les voix reflètent cette expérience, on s’assure que les jeunes accepteront davantage le phénomène et bénéficieront ainsi d’une aide psychologique. Ainsi, leur relation avec les voix change et leur développement n’est plus compromis (Escher et al., 2002; Escher, 2012).
Il existe des questionnaires validés – ou des canevas d’entrevue – adaptés à leur âge pour faciliter la description de leur expérience (Escher, et al. 2011; Majier et al., 2019). Les enfants et les adolescents, ainsi que leurs parents et leurs enseignants, ont un besoin d’aide et d’information, de préférence par une approche globale et déstigmatisante (Hayward et al., 2025).
Un consensus émerge qu’une expérience traumatique précède l’audition de voix tant chez la population clinique (Cameron et McGowan, 2013; Escher, 2012; Hayward, Strauss et Kingdon, 2018; Longden et al., 2023; Romme, 2012; Strachan, Paulik et McEvoy, 2024), que non clinique (Beaumiester et al., 2017; Honig et al., 1998).
Les voix représentent différentes formes qui ont une fonction pour les entendeurs, ou en d’autres mots, ont une utilité selon la conceptualisation de la troisième vague de thérapies cognitives comportementales (Strauss, 2015).
Toutes les fonctions des voix (critique, comminatoire, impérative[1], injurieuse, conseillère, humoristique, rassurante, prédictive, protectrice) peuvent nous aider à créer un « scénario » dans lequel les voix jouent divers rôles. Cela permet de tracer un tableau complexe des relations entre les différentes voix. Grâce à ce scénario on peut comprendre leurs sens, et ultimement, aider les personnes à reconnaitre qu’elles proviennent d’elles-mêmes (St-Onge, 2017).
L’évitement du travail avec les voix chez les intervenants contribue à renforcer la stigmatisation et la subordination aux voix, renforçant ainsi la détresse des entendeurs (Cameron et McGowan, 2013).
La théorie du rang social développée par l’équipe de Trower (2010) met l’accent sur le rôle des comportements de sécurisation et d’évitement dans le maintien, voire l’amplification des conséquences négatives des voix. Cette théorie postule que la détresse vécue par les personnes entendant des voix peut être expliquée par le type de relations qu’elles entretiennent avec les voix puissantes.
Dans ce contexte, la thérapie comportementale relationnelle a démontré qu’il est possible de changer une relation dominante avec les voix vers une relation plus affirmée et bienveillante. Les voix résultent parfois du fait que les entendeurs sont isolés. Ainsi les voix remplissent une fonction relationnelle – c’est-à-dire qu’elles sont utiles à briser cet isolement – lorsqu’ils n’ont pas accès à ces relations dans leur réseau (Hayward et al., 2011; 2021; Hayward et Paulik, 2015).
En conclusion, même si a priori les voix (et les délires qui y sont reliés) peuvent paraitre insensés (Kingdon et Turkington, 2005), contrairement à une croyance populaire, ces manifestations sont reliées à des expériences passées; elles ne sont donc pas en discontinuité de l’expérience (Beaumiester et al., 2017) et il est possible d’en construire le sens pour pouvoir les remettre en question et s’affranchir de leur pouvoir. Dans le nouveau paradigme, on invite les professionnels de toutes les disciplines de la relation d’aide, incluant bien sûr les psychologues, je dirais au premier chef, à s’ouvrir à la possibilité d’intervenir auprès des personnes qui entendent des voix et à développer des alliances avec elles pour les aider à sortir de leur isolement.
[1] Cette forme de voix pourrait conduire à une intervention immédiate si elle commandait à la personne de se tuer ou de tuer quelqu’un de son entourage. Comme c’est le cas pour une personne qui présente un risque suicidaire élevé, on peut recourir aux outils concernant le risque de passage à l’acte. Si le risque est imminent, cela requiert une urgence psychiatrique (voir St-Onge, 2017, p. 36-39, pour une description des fonctions des voix). Un guide thérapeutique a d’ailleurs été publié pour travailler avec ce type de voix impératives (Meaden et al., 2013).
Références bibliographiques
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