Où va l’intervention précoce en autisme ?


Un enfant est sur une balançoire au soleil levant

Photo by Kayra Sercan sur Unsplash



La définition de l'autisme évolue, comme évoluent les interventions. Les données scientifiques récentes ont montré l'inefficacité des méthodes de traitement autrefois recommandées. De nouvelles études montrent qu’on peut avoir une influence minimale, mais ne nous disent pas si cela change vraiment la vie des gens. Enfin et surtout, les notions de ce qu’on doit viser dans l’intervention évoluent considérablement.  Comment s'y repérer dans ce contexte ? Interview avec le Prof Laurent Mottron, responsable de la chaire de recherche en autisme à l'Université de Montréal.

 

Au cours de la pandémie, votre groupe de recherche a imaginé une nouvelle proposition d'intervention basée sur les forces des enfants autistes. Pourquoi ces nouvelles propositions et pourquoi refusez-vous d'appeler ces nouvelles propositions, une méthode ?

Généralement, les méthodes thérapeutiques à nom propre (ex : Teach, Lovaas, Denver…), strictement protocolisées, promettent des résultats positifs. Cependant, bien que qualifiées de "scientifiquement prouvées", beaucoup n'ont pas été testées avec rigueur. Dans les 10 dernières années, la communauté scientifique a remis en question la validité de ces méthodes en les soumettant à des tests rigoureux, similaires à ceux des médicaments. Les résultats ont montré que plusieurs de ces méthodes étaient inefficaces. Malheureusement, de nombreux parents ont été trompés par le passé, dépensant beaucoup dans l'espoir d'aider leurs enfants. Je crois aussi que, de nombreux professionnels ont appliqué ces méthodes de bonne foi, et continuent à le faire, alors qu’ils pourraient réorienter leur énergie ailleurs.

Qu'est-ce qui fait qu'il y ait eu ce mouvement de réveil de la communauté, qu'on a commencé à essayer d'appliquer le même niveau de rigueur que dans le reste du milieu médical ?

Il est essentiel d'adopter une perspective optimiste sur les avancées de la science, qui tend à devenir de plus en plus rigoureuse. La croyance qu'une quantité considérable de "science médiocre" équivaut à un peu de "science de qualité" a conduit à des conclusions hâtives dans les études. Des conflits d'intérêts, notamment dans les thérapies comportementales intensives, ont également été identifiés. De plus, il y a eu une prise de conscience que certaines interventions, malgré leurs bonnes intentions, pourraient être nuisibles. L'idée selon laquelle l'autisme devait être "guéri" a évolué. Il est maintenant compris que de nombreux autistes peuvent progresser s'ils ont accès à un certain type de support, au lieu d'essayer de les "corriger". Cette approche est comparable à l’évolution de manière dont la société traite la surdité entre le dix-neuvième siècle et l’époque moderne, avec l’acceptation de la langue des signes, inventée par les sourds eux-mêmes. En 20 ans, la perception de l'autisme a changé : il n'est plus vu comme une condition à éradiquer, mais comme une réalité avec laquelle il faut composer. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille tolérer tous les comportements problématiques sans aucune intervention. Toutefois, il est important de reconnaître que certains de ces comportements peuvent avoir une valeur pour la personne autiste. Dans de tels cas, chercher à les éliminer s'avère non seulement impossible, mais également dénué de bénéfice pour la personne concernée.

Comment expliquez-vous qu'il y a eu ce changement ces 20 dernières années sur la façon dont on regarde l'autisme ?

Le mouvement de la neurodiversité reflète une tendance croissante à la tolérance des situations marginales dans les pays développés. Un exemple marquant est la suppression de l'homosexualité du DSM grâce aux efforts des activistes gays. Les activistes autistes se sont inspirés de cette démarche, bien que leur cause ait suscité des débats sur la comparabilité de ces situations. Le contexte sociétal influe sur la perception des minorités : un paraplégique est impacté par la configuration des trottoirs, tout comme une personne minoritaire par son appartenance ethnique ou une condition clinique, est influencée par la façon dont la société l'appréhende. Les pays riches, malgré leurs imperfections, ont un rôle à jouer en promouvant des valeurs inclusives. La question centrale est de savoir si on devrait chercher à "corriger" les différences ou les accepter et faciliter la vie de ceux qui sont différents. Attention, il n'y a pas d'unanimité chez les autistes pour la relation à l'autisme. Plusieurs disent que leur autisme est une richesse et une identité. D'autres qu'ils auraient préféré ne pas l'être. Mais dans tous les cas, l’autisme est plus fort que nous, et il possède sa propre dynamique d’évolution spontanée. Éduquer un enfant autiste ne doit pas viser à rendre son autisme invisible, même s’il arrive, pour des raisons inconnues, que certains le deviennent.

Est-il possible de recommander une intervention en autisme ou bien sommes-nous dans une sorte de vide ?

Pas tout à fait. L'approche ne doit pas être protocolaire (soit suivre un protocole écrit, avec des étapes, etc), mais fondée sur des principes éthiques et éducatifs qui, a un certain niveau, sont les mêmes que ceux d’un enfant typique. En l'absence de méthodes scientifiquement prouvées, nous pouvons recommander de suivre des principes pragmatiques, comme de rendre l’organisation de la journée et des lieux compréhensibles pour l’enfant. L’utilisation de pictogrammes pour aider à structurer la journée d'un enfant autiste en est un exemple. Ces outils visuels aident à anticiper les événements. Ils réduisent ainsi l'agitation ou l'incompréhension. L'objectif est de fournir des outils pratiques, testés par l'expérience, en attendant des preuves scientifiques plus concrètes. Ceci n’est pas une ‘’méthode’’, mais du bon sens. Nous considérons que l’enfant non verbal n’a pas accès au langage oral pour un temps donné.

Pouvez-vous nous préciser en quoi consiste la synchronie ?

Ce qu'on sait actuellement, c'est que saisir au vol les occasions de synchronie avec un enfant autiste est essentiel. La synchronie, c’est tout ce qui fait qu’un adulte et un enfant sont effectivement en train de faire une chose ensemble, même si ‘’ensemble’’ peut être en parallèle, et n’est pas associé à une communication ‘’normale’’. Il est possible de s'appuyer sur les intérêts et les besoins des enfants autistes pour établir une communication. En effet, bien qu'ils communiquent de manière égocentrée, les enfants autistes offrent des occasions de répondre à leurs besoins qui permet de ne pas les forcer vers une forme "correcte" de communication, ce qui est à court terme impossible. 

Le PACT (Pre-school Autism Communication Trail) travaille dans cette direction. L'acronyme PACT regroupe des techniques de rééducation orthophonique dans un format standardisé et reproductible qu'on appelle "manualisé". La méthode telle qu’elle a été utilisée en recherche est rigide pour garantir une application uniforme. Cela permet d'être certain que c'est la technique qui fonctionne. Cependant, dans la vie quotidienne, appliquer ces techniques de façon aussi stricte est irréaliste et son application dans la vie de tous les jours est non formelle. Les principes éthiques, culturels et ethniques personnels entrent en jeu, rendant les méthodes moins rigides. Il est donc essentiel de s'adapter et de moduler ces techniques selon le contexte, tout en restant fidèle à l'éthique et aux principes initiaux. Comparativement, l'éducation traditionnelle des enfants ne suit pas un manuel strict. S'en tenir rigoureusement à une méthode peut être problématique. L'approche doit donc être adaptative, basée sur des principes généraux, tout en reconnaissant que l'adaptation peut impliquer des compromis.

Et vous présentez tous ces principes dans une présentation enregistrée pour Asadis. Tout ceci pose la question de l'application des données scientifiques à la pratique clinique. On se rend bien compte qu'il y a de nombreux défis dans ce domaine. Quel est votre diagnostic ?

Je valorise énormément la science, car elle offre une alternative aux croyances irrationnelles qui tendent à s’imposer en autisme de manière toujours renouvelée si on y prend garde. Toutefois, la science n'a pas de morale intrinsèque et elle peut être utilisée de manière nuisible. Autrefois, je pensais que la science était fondamentalement morale. Avec les années, j'ai réalisé que la science peut être sérieuse et inutile à la fois, voire appliquée de manière aveugle et sans tenir compte des valeurs d’humanité et de progrès. Il y a donc un débat constant entre la pureté de la science et l'art de la clinique. Se fier uniquement à la science sans comprendre la pratique clinique peut être dangereux, tout comme se fier uniquement à ses instincts sans données scientifiques. Concernant l'autisme, j'utilise la science pour comprendre ses mécanismes. En faisant des analogies entre l'autisme et d'autres phénomènes, je cherche à déterminer comment nous devrions l'aborder. De nombreuses solutions ont été promues pour traiter l'autisme. Certaines comme les chambres hyperbares ou les cellules souches se sont avérées inutiles ou dangereuses en plus d’être des moyens d’aspirer l’argent des familles. Il est crucial d'utiliser la science pour remettre en question sans cesse les recommandations issues de la science, ainsi que les théories farfelues comme l'idée que les vaccins causent l'autisme. Pour avancer, il faut faire coexister la science et la clinique.

Vous travaillez aussi sur la définition de l'autisme et sur les critères diagnostiques. Dans une formation antérieure donnée pour Asadis, on a bien vu que les critères actuels du DSM-5 favorisaient le surdiagnostic. Comment pensez-vous qu'il faudrait les modifier ? 

Comprendre l'autisme est un défi immense à l'échelle planétaire. Bien qu'il y ait des variations régionales, les chiffres de prévalence et le ratio garçons/filles restent étonnamment constants à l'échelle mondiale, suggérant que l'autisme pourrait être une propriété naturelle du vivant, comparable à d'autres propriétés biologiques innées chez l'homme. Actuellement, la définition de l'autisme est une boîte trop large, qui regroupe des personnes très différentes. Cela complique la compréhension et l'étude de cette condition. Il est essentiel de revenir à une approche plus fondamentale, en observant un groupe homogène d'individus autistes pour mieux discerner les ressemblances et les différences avec les individus typiques. Avec la notion actuelle de spectre de l'autisme, la définition est devenue tellement large qu'il est difficile de distinguer ces nuances. L'objectif est de comprendre l'autisme comme une possibilité humaine plutôt que comme une maladie à soigner, et de distinguer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire, dans cette définition.

Quand vous dites que ce changement va prendre beaucoup de temps, pensez-vous qu'on le verra dans le DSM 6 ?

Selon mes sources, le DSM-6 n'est même pas un projet. Beaucoup de décisions en autisme semblent influencées par des idées américaines, et il ne faut pas confondre le gain de parler la même langue, utiliser les mêmes outils, avec la soumission aveugle et non critique aux aspects idéologiques de la science américaine. Celle-ci s’est imposée en autisme, par exemple avec l’ABA et les outils diagnostics standardisés. On craint trop de perturber un système établi, même s'il est loin d'être parfait, que ce soit en science ou en intervention. La compréhension scientifique de la condition ne doit pas nuire à l'aide apportée au public. À l'inverse, cette aide ne doit pas empêcher à la compréhension scientifique de cette catégorie de personnes. L'autisme est spécial. Il nécessite une approche… morale, autant que rationnelle. Et cette morale, elle bouge, et elle n’est pas la même pour toutes les cultures, les générations et les orientations scientifiques. 

Il n’y a pas de standards sur ce que l’on doit faire avec un enfant autiste qui ne parle pas, ils sont en train de se renouveler. Il faut donc traiter l'autisme avec des principes éthiques, comme on le ferait avec n'importe quel enfant, mais l’éthique consiste aussi à traiter un enfant en respectant ses intérêts et ses impossibilités autant que faire se peut. Je constate également des évolutions positives dans la manière dont nous percevons et intégrons les différences, bien qu'il y ait encore des challenges. L'image populaire de l'autisme est souvent simplifiée. Enfin, je m'interroge sur l'équilibre entre la célébration d'une identité et sa normalisation. Pour ma part, l'idéal serait qu'il y ait une intégration de la différence sans qu'elle soit constamment mise de l'avant.

Que pensez-vous du modèle médical de l'autisme ?

Je crois que le modèle médical à ses vertus…. Lorsqu'il est appliqué aux maladies. La frontière entre "maladie" et "différence" est floue, notamment pour l'autisme. Un bon médecin sait parfois qu'il ne doit rien faire, car toute intervention n'est pas nécessairement bénéfique. Quant à l'autisme, on ignore comment le catégoriser : est-ce une maladie, ou bien une simple variation (ou bifurcation) de la norme, même si ses conséquences adaptatives peuvent être majeures ? Avoir des jumeaux, ou bien accoucher par le siège, sont des variations de la norme potentiellement mortelles. Ces situations minoritaires, qui sont inscrites dans le patrimoine génétique humain, ont parfois des conséquences qui sont du domaine de la santé. Ce n’est pas pour cela qu'être un jumeau est une maladie. Il en est de même pour l'autisme, qui peut avoir des maladies pour conséquences - par exemple, être déprimé, ou vivre une anxiété extrême. Ces maladies ne justifient pas d'être appelées des ''comorbidités'' de l'autisme. En effet, une comorbidité, c’est une maladie qui accompagne souvent une autre maladie. Faire une paralysie du bras après un accouchement par le siège, c'est faire une maladie à la suite d’une situation minoritaire, ce n’est pas l’enchaînement de deux maladies. Je pense qu'il nous faut un modèle biologique de l'autisme qui explore sa nature de ''bifurcation'' plutôt que ses causes. Je souhaite consacrer le reste de mon temps de chercheur à explorer cela, en mettant l'autisme en parallèle avec d'autres variations humaines, telles que l'orientation sexuelle, la gémellité ou le fait d'être gaucher. C’est pour moi la meilleure façon de subvertir les mauvais aspects du ‘modèle médical’’ tout en le sauvegardant pour les conséquences de l’autisme lorsque ce sont de véritables maladie ou handicap…

En tout cas, pour aujourd'hui, c'est déjà beaucoup de choses passionnantes que vous nous avez racontées. Avant qu'on termine, est-ce qu'il y a un dernier point sur lequel que vous voudriez partager ? 

J'aimerais recevoir du retour de la communauté des cliniciens. Des témoignages. "On a essayé de comprendre votre affaire, on a essayé de voir ce qu'on pouvait faire, mais on se heurte à telle chose." "Ceci ne marche pas, on ne comprend rien." "On ne sait pas quoi faire avec ça."... 

Un appel à tous les cliniciens qui prenez la présentation de Laurent Mottron sur notre plateforme, écrivez-nous à contact@asadis.net pour faire remonter votre expérience !

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