Le consensus scientifique est clair : il n'existe pas de traitement de l'autisme. Les différents courants d’intervention qui ont pendant longtemps proposé de « traiter » l’autisme se révèlent, par conséquent, inefficaces. Pire encore, ils sont parfois à l'origine de souffrances psychologiques pour l'enfant et ses parents, en plus de représenter un coût financier important.
Face au constat qu'aucune intervention chimique ou thérapeutique n'a réussi à montrer qu'elle pouvait "guérir" l'autisme, une réflexion nouvelle émerge autour de la neurodiversité. Ce paradigme issu des neurosciences nous incite à revoir notre approche de l'autisme et de sa prise en charge en tenant compte de sa trajectoire naturelle ainsi que du bien-être et de l'expérience vécue des individus concernés.
Dès lors, sur quoi s'appuyer pour accompagner les enfants autistes ? Deux neuropsychologues expertes en intervention précoce témoignent de l'évolution de leur pratique.
La question de l'efficacité des interventions précoces en autisme
La quête de services d'intervention pour favoriser le développement harmonieux des enfants autistes peut plonger les parents dans une confusion et un sentiment d'impuissance. Ces émotions sont partagées par les professionnels travaillant avec ces jeunes enfants, dont les profils cliniques sont variés et complexes, dans une société où les meilleures pratiques en autisme paraissent floues et divergentes. Cette situation reflète le manque de données scientifiques probantes sur l'efficacité et l'effectivité des interventions en autisme.
En effet, après une analyse des données de recherche sur les pratiques d'intervention chez les jeunes enfants autistes recueillies sur plusieurs décennies, des cliniciens et chercheurs spécialisés en autisme concluent globalement qu'il est difficile de déterminer, à partir de preuves scientifiques probantes, quelles approches fonctionnent, à quelle intensité et pour qui, compte tenu du large spectre de l'autisme (1, 2). La communauté scientifique s'accorde sur la nécessité de mener davantage de recherches scientifiques de qualité pour mieux cibler les vecteurs de changement et mesurer plus efficacement la répercussion des interventions sur les jeunes enfants autistes. Certains chercheurs soulignent également l'importance de protéger la population d'enfants autistes contre des interventions pouvant entraîner des répercussions négatives, les effets adverses des interventions étant peu documentés, tout comme leur influence sur le développement autistique (2,3,4).
Le mouvement de la neurodiversité
Depuis les deux dernières décennies, le champ de la recherche sur l'autisme s'ouvre progressivement au mouvement de la neurodiversité. Ce mouvement défend l'idée que les variations du développement et du fonctionnement neurologiques chez les humains sont naturelles et enrichissantes, et ne sont donc pas nécessairement pathologiques (3,5).
Sous le paradigme de la neurodiversité, la conception des services offerts aux jeunes enfants autistes tient compte de leur trajectoire développementale naturelle. Plutôt que de leur imposer des traitements visant à atténuer et à modifier les caractéristiques de l'autisme, ce paradigme préconise des interventions axées sur le bien-être, en tenant compte de leurs motivations propres et de leurs expériences individuelles (3,5).
Considérer l'intelligence singulière des personnes autistes pour mieux les accompagner
Le Dr Laurent Mottron, psychiatre, chercheur et clinicien spécialiste de l'autisme, a contribué de manière significative à la compréhension de l'intelligence singulière des personnes autistes au cours des trente dernières années. Il fait partie des rares chercheurs à étudier le calendrier de développement propre aux enfants autistes et à explorer les forces cognitives spécifiques liées au neurodéveloppement autistique (6,7,8). Sa formation sur les Nouveaux principes d'intervention précoce pour l'autisme prototypique d'âge préscolaire nous pousse à remettre en question les interventions actuelles pour les enfants autistes qui sont majoritairement influencées par le paradigme médical, et nous guide vers des principes d'accompagnement qui respectent la condition autistique dans toutes ses spécificités.
Le Dr Mottron propose un accompagnement non intrusif des enfants autistes, en acceptant les caractéristiques de l'autisme et en s'appuyant sur leurs forces perceptives qui s'inscrivent dans leur intelligence singulière. Cette approche évite de compromettre leurs stratégies naturelles d'adaptation et les accompagne en suivant leur mode naturel d'apprentissage.
Valoriser l'expertise expérientielle pour un meilleur accompagnement
Pour soutenir les enfants autistes en respectant leur condition, il est non seulement crucial de comprendre leurs forces ainsi que leurs spécificités développementales, il est également essentiel d’accorder de l'importance à leur vécu personnel. Bien sûr, interroger directement de jeunes enfants autistes sur leurs motivations et leurs ressentis n'est pas toujours envisageable. En revanche, consulter les témoignages variés d'adultes autistes peut aider à comprendre leurs perspectives (3,5).
En tant que cliniciennes en neuropsychologie œuvrant auprès des personnes autistes, nous pouvons témoigner de la richesse qu’apportent à notre pratique cette expertise expérientielle. Elle nous aide à comprendre l’expérience et les motivations des enfants autistes ainsi que leurs manifestations autistiques. L'expertise expérientielle colore ainsi notre compréhension et nos stratégies éducatives, en nous libérant des biais liés à une analyse centrée sur le développement typique.
Prendre en compte cette expertise expérientielle permet également de promouvoir le bien-être à long terme et l'autonomie des individus à travers l'accompagnement offert. Les témoignages d'adultes autistes éclairent sur ce que signifie pour eux un développement harmonieux. Plusieurs soulignent que l'autonomie découle en grande partie de la capacité à faire des choix et à exprimer leur refus. Pour cela, un accompagnement favorisant une communication fonctionnelle, qu'elle soit verbale ou non, est essentiel (3). Notre propre expérience clinique nous montre qu’utiliser un code graphique adapté en fonction du niveau de développement autistique de chaque enfant peut favoriser une communication fonctionnelle en misant sur leurs aptitudes perceptives naturelles.
Ainsi, en mettant de côté la perspective médicale pour orienter les interventions précoces en autisme, nous plaçons au premier plan la voix et les besoins des personnes autistes elles-mêmes. Cela nous permet d'accompagner ces enfants dans le respect de leur condition, sans chercher à les « guérir » ou les « normaliser».
Isabelle Tremblay, M.A. & Catherine St-Charles Bernier, D. Psy, neuropsychologues chez SACCADE, Centre d’expertise en autisme
Références
1. Lord, C., Charman, T., Havdahl, A., Carbone, P., Anagnostou, E., Boyd, B., ... & McCauley, J. B. (2022). The Lancet Commission on the future of care and clinical research in autism. The Lancet, 399(10321), 271-334.
2. Sandbank, M., Bottema-Beutel, K., LaPoint, S. C., Feldman, J. I., Barrett, D. J., Caldwell, N., ... & Woynaroski, T. (2023). Autism intervention meta-analysis of early childhood studies (Project AIM): updated systematic review and secondary analysis. bmj, 383.
3. Leadbitter, K., Buckle, K. L., Ellis, C., & Dekker, M. (2021). Autistic self-advocacy and the neurodiversity movement: Implications for autism early intervention research and practice. Frontiers in Psychology, 12, 782.
4. Bottema-Beutel, K., Crowley, S., Sandbank, M., & Woynaroski, T. G. (2021). Adverse event reporting in intervention research for young autistic children. Autism, 25(2), 322-335.
5. Pellicano, E., & den Houting, J. (2022). Annual Research Review: Shifting from ‘normal science’to neurodiversity in autism science. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 63(4), 381-396.
6. Mottron, L., Dawson, M., Soulières, I., Hubert, B., & Burack, J. (2006). Enhanced perceptual functioning in autism: An update, and eight principles of autistic perception. Journal of autism and developmental disorders, 36, 27-43.
7. Mottron, L., Belleville, S., Rouleau, G. A., & Collignon, O. (2014). Linking neocortical, cognitive, and genetic variability in autism with alterations of brain plasticity: the Trigger-Threshold-Target model. Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 47, 735-752.
8. Mottron, L., & Gagnon, D. (2023). Prototypical autism: New diagnostic criteria and asymmetrical bifurcation model. Acta Psychologica, 237, 103938.
9. https://has-sante.fr/jcms/p_3286288/fr/autisme
10. https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/maladies/trouble-spectre-autistique-tsa/soutien-pour-trouble-spectre-autistique-tsa.html