Laurent Mottron est un psychiatre de renommée mondiale dans le domaine de l’autisme. D’origine française, il pratique le métier depuis 38 ans, dont 20 au Canada. Son intérêt pour la psychiatrie remonte à son plus jeune âge : c’est en prenant conscience de la présence de la maladie mentale dans son entourage qu’il a eu envie d’en faire sa vocation. Il s’est alors investi dans le cursus médical à l’Université de Tours en France. À l’époque, l’Université de Tours était la seule en France à effectuer des recherches de type scientifique sur l’autisme et à disposer d’une visibilité internationale dans ce domaine. Il s’est joint à l’équipe dans le cadre de ses premiers stages et s’est passionné immédiatement pour ce domaine. Rapidement, il a réalisé que les théories psychanalytiques, à l’époque mises de l’avant comme explication unique de l’autisme en France, ne faisaient pas de sens. Afin de trouver des moyens concrets pour tester ses hypothèses, et ultimement d’aider cette population, il lui fallait un lieu qui lui permette de contrer les modèles en place et de développer une recherche véritablement innovante et avant-gardiste. C’est au Québec qu’il a finalement décidé de faire carrière – la meilleure décision de sa vie selon lui.
Qu’est-ce qui vous permet d’entretenir votre passion?
La recherche est une activité intellectuelle passionnante qui me permet de faire du bien à des gens tout en me comblant intellectuellement. Mon rôle de médecin-chercheur me permet de travailler avec des gens brillants et engagés avec qui je partage une passion. J’ai le luxe de choisir les étudiants, chercheurs et collègues cliniques avec qui je travaille, ce qui contribue à mon amour de celui-ci. Les étudiants que je supervise me permettent d’être en apprentissage constant, ce qui m’apporte beaucoup. Plusieurs des chercheurs et étudiants qui œuvrent dans mon groupe ont eux-mêmes un diagnostic d’autisme ce qui, ajouté à ma clinique, m’imprègne au quotidien de la réalité de cette condition, de ses enjeux, mais aussi de sa noblesse. La chaire de recherche de l’Université de Montréal Marcel et Rolande Gosselin, dédiée aux neurosciences cognitives fondamentales et appliquées du spectre autistique et dont je suis titulaire depuis 12 ans, m’a considérablement aidé dans ma tâche.
Selon vous, quels sont les enjeux de la recherche sur l’autisme?
La recherche en autisme n’avance pas très vite, malgré le triomphalisme affiché des chercheurs. Il existe aujourd’hui une incroyable diversité de technologies et de modèles : dès que quelque chose de nouveau apparait, on le teste sur l’autisme, à l’aveugle et sans hypothèse. Bien qu’il y ait une masse impressionnante d’articles sur le sujet et que de nombreuses subventions soient disponibles pour faire avancer la recherche en autisme, il y a encore peu de données solides en ce qui concerne l’intervention. Bien que vous lirez partout que "des progrès extraordinaire ont été faits", la compréhension des mécanismes qui aboutissent à l’autisme est limitée. De nombreuses et importantes découvertes sont faites à l’occasion de la recherche en autisme, mais elles n’ont que peu d’application sur le cœur de cette condition. On a plus de meilleures certitudes sur ce qui est faux dans le domaine que sur ce qui serait vrai. J’observe aussi que le diagnostic de l’autisme est trop facilement donné à notre époque. J’ai d’ailleurs codirigé avec une chercheure autiste une méta-analyse en 2019 qui montre les conséquences de cette tendance sur notre capacité à faire des découvertes.
Quelles avancées importantes ont eu lieu?
Je dirais qu’à ce jour, les résultats les plus importants sont ceux qui montrent l’inefficacité de certaines interventions auprès de la population autistique, ou l’absence de facteurs environnementaux comme la vaccination. Ce qui est mis de l’avant ces dernières années, c’est que le devenir d’un enfant autiste est très peu influencé positivement par ce qu’on lui fait en termes d’intervention. En revanche, certains aspects de celle-ci peuvent lui nuire. Ainsi, démontrer que la psychanalyse ne fonctionnait pas avec l’autisme, et que sa cause était en premier lieu génétique a été une grande avancée, mais a aussi poussé tout le monde vers les thérapies comportementales. Ceci a causé une surévaluation des résultats de ces techniques, et entrainé un consensus de convenance sur leur légitimité et leur efficacité, qui n’a pas été remis en question avant ces dix dernières années. Nous en sommes là maintenant.
Quels conseils donneriez-vous aux intervenants dans le milieu?
Je les encouragerais à offrir à l’enfant autiste un contexte de développement aussi riche que celui d’un enfant sans diagnostic. Il est important et éthique qu’il ait accès aux mêmes services (garderie, école régulière, soin de santé, travail, information), avant même de penser à ce qu’on pourrait lui offrir de spécial, de déterminé par son autisme. Une fois que cette exigence fondamentale est satisfaite, il est bien sûr possible de contribuer à une réussite conforme à son potentiel et à sa qualité de vie et à son bien-être, en y ajoutant les adaptations nécessaires pour qu’il tolère son milieu et/ou soit toléré par celui-ci. Par exemple, il se peut qu’un éducateur de plus soit nécessaire à la garderie pour le bon fonctionnement du groupe lorsqu’un enfant autiste y est intégré. Aussi, les autistes ayant souvent des intérêts marqués, l’enseignement qui lui est destiné peut-être adapté en fonction de ses intérêts. Je souhaite qu’on arrête de vouloir changer ces enfants. Eux-mêmes ne veulent pas changer pour la plupart de leurs caractéristiques –pas toutes cependant : ceux qui ne parlent pas voudraient sans doute parler mieux. Il faut donc plutôt qu’on les aide à trouver leur place en tant qu’humain, avec leurs forces et leurs faiblesses.
Quelle est la priorité dans le domaine à l’heure actuelle?
Actuellement, l’urgence est d’améliorer le système de formation des parents, des enseignants et des éducateurs de façon à sortir des "packages" d’intervention au profit d’intervention qui améliorent effectivement la qualité de vie de la population autistique, et donc de changer les cibles de cette intervention. Il y a aussi des lacunes majeures dans le dispositif d’aide aux adultes, le logement, la diplomation et l’emploi.
Quels conseils donneriez-vous aux chercheurs qui travaillent sur l’autisme?
Je conseille vivement aux chercheurs de sortir du cadre habituel et en particulier de la ritournelle consensuelle que l’autisme est un problème social, qu’il concerne une personne sur cinquante, et que les aider c’est les rendre plus sociaux. Je leur conseillerai aussi de regarder de manière critique, mais toujours strictement rationnelle et scientifique, le cliché que ce qu’on appelle autisme aujourd’hui est une entité hétérogène. L’autisme de 2021 ne regroupe pas des personnes dont les différences résultent du même mécanisme, et aboutissent à des particularités semblables. Je leur conseillerai aussi de fréquenter des autistes, par exemple, et de les intégrer dans leurs équipes.
Interview réalisée par Marie-Pier Belisle, doctorante en psychologie à l'Université du Québec à Montréal