Expérience et performance en psychothérapie


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Image libre de droit, Pixabay



Il a été maintes fois démontré que la psychothérapie est efficace pour traiter plusieurs troubles mentaux. Cette efficacité varie cependant selon le patient, mais aussi d’un thérapeute à l’autre. En effet, plusieurs études ont démontré que notre efficacité fluctue selon le moment, que nous sommes plus ou moins efficaces selon les cas traités, et que certains d’entre nous sont tout simplement plus doués que d’autres. Selon Shanteau (1992), ceci serait dû en partie au fait qu’il est difficile, en clinique, de développer ses compétences car le lien entre l’expérience et les habiletés est ambigu. Selon lui, ce lien serait clair dans des activités telles celles effectuées par les pilotes, les joueurs d’échec, les mathématiciens ou encore les comptables, mais non chez les juges, les spécialistes en sélection de personnel ou encore les cliniciens en santé mentale, dont les psychologues et les psychiatres.

Dans la même veine, Tracey et al. (2014, 2015) estiment que les cliniciens en santé mentale ont de la difficulté à développer leur niveau d’expertise, car la nature même de la psychothérapie fait en sorte qu’il est difficile d’obtenir une rétroaction fiable sur les actions posées dans le cadre d’une thérapie, cette rétroaction étant pourtant nécessaire pour s’améliorer. Toujours selon ces auteurs, il y aurait par ailleurs plusieurs autres obstacles auxquels sont confrontés les cliniciens. Il y aurait d’abord des variables cognitives. Dans des domaines comme la programmation informatique ou les mathématiques, on observerait une différence dans le fonctionnement cognitif des néophytes et celui des experts, ces derniers ayant plus de connaissances, pouvant plus facilement organiser leurs connaissances en des ensembles structurés et organisés, et possédant des capacités procédurales supérieures. Cependant, bien que les cliniciens d’expérience soient en mesure de produire des conceptualisations de cas cliniques qui soient plus sophistiquées, il appert que ces conceptualisations ne sont pas particulièrement valides.

Un deuxième obstacle souligné par l’équipe de Tracey est la difficulté que nous aurions à avoir une pratique dite délibérée. Pour développer ses habiletés, il faut s’exercer, et il faut que cet exercice soit délibéré, c’est-à-dire que l’exercice doit être bien défini et spécifique, qu’il est suivi d’une rétroaction, qu’il peut être répété, et que les erreurs commises peuvent permettre un apprentissage. Or, la psychothérapie se prêterait peu à un apprentissage de ce type. À ceci s’ajoute le manque de précision des cliniciens lorsqu’il s’agit de s’autoévaluer. Selon Walfish et ses collègues (2012), le quart des cliniciens estime être parmi les 10% des meilleurs cliniciens, et aucun ne s’estime inférieur à la moyenne en termes de compétence. Par ailleurs, cette confiance gonflée en nos capacités augmenterait avec les années d’expérience, même lorsque la compétence, elle, demeurerait la même. Le quatrième obstacle souligné par Tracey est l’absence de rétroaction. Une étude de Ionita et Fitzpatrick (2014) a d’ailleurs souligné que les cliniciens font peu usage des outils de suivi et de rétroaction en continu en psychothérapie. C’est d’ailleurs à la lumière de ces résultats de recherche que le groupe de travail sur le suivi en continu et l’évaluation des effets des thérapies de la Société Canadienne de Psychologie recommande à tous les cliniciens de faire un suivi en continu des effets de toute thérapie auprès de tout patient (Tasca et al., 2019).

Évidemment, les textes de Tracey ont beaucoup fait réagir. Hill et al. (2017), entre autres, ont souligné que même si on reconnait un lien entre expertise et performance, il est difficile de bien définir ce que la performance représente en psychothérapie. En effet, la psychothérapie implique un lien thérapeutique qui est similaire du traitement d’un patient à l’autre, mais qui est aussi unique à chaque patient. La relation thérapeutique serait donc complexe, mais aussi fluide et dépendante du contexte, si bien que la psychothérapie impliquerait des ajustements constants; nous serions dès lors plus près d’un rôle improvisé que d’un rôle scripté d’acteur. La performance aurait donc une dimension relationnelle ainsi que technique. Or les études sur la dimension technique sont peu concluantes, en partie en raison de la difficulté à isoler l’effet des techniques sur l’issue d’une psychothérapie, un problème majeur et récurrent en recherche sur la psychothérapie. Quant aux recherches sur la dimension relationnelle, elles ne semblent pas soutenir le fait que les cliniciens ayant plus d’expérience sont toujours ou généralement plus habiles à créer une alliance thérapeutique, avec cependant quelques exceptions : les cliniciens plus expérimentés seraient plus efficaces pour s’entendre avec leurs patients sur les buts et les tâches rattachés à la thérapie, et ils auraient plus de facilité que leurs collègues moins expérimentés lorsqu’il s’agit d’établir une alliance thérapeutique avec des patients considérés plus “difficiles” (e.g., Kivlighan et al., 1998).

Ainsi, au-delà de la formation initiale, l’exposition clinique et l’expérience, la formation continue et les communautés de pratique permettent toutes aux cliniciens de peaufiner leurs habiletés cliniques. Et c’est précisément lorsque nous sommes exposés à des cas plus complexes que cette expertise fera toute la différence.

Références Ionita, G., & Fitzpatrick, M. (2014). Bringing science to clinical practice: A Canadian survey of psychological practice and usage of progress monitoring measures. Canadian Psychology/Psychologie canadienne, 55(3), 187-196. Kivlighan, D. M., Patton, M. J., & Foote, D. (1998). Moderating effects of client attachment on the counselor experience-working alliance relationship.Journal of Counseling Psychology, 45, 274-278 Shanteau, J. (1992). Competence in experts: The role of task characteristics. Organizational Behavior and Human Decision Processes, 53, 252-266. Tasca, G.A., Angus, L., Bonli, R., Drapeau, M., Fitzpatrick, M., Hunsley, J., & Knoll, M. (2019). Outcome and progress monitoring in psychotherapy: Report of a Canadian Psychological Association task force. Canadian Psychology, 60(3), 165–177. Tracey, T. J. G., Wampold, B. E., Lichtenberg, J. W., & Goodyear, R. K. (2014). Expertise in psychotherapy: An elusive goal. American Psychologist, 69, 218-229. Tracey, T. J. G., Wampold, B. E., Goodyear, R. K., & Lichtenberg, J. W. (2015). Improving expertise in psychotherapy. Psychotherapy Bulletin, 50, 7-13. Walfish, S., McAlister, B., O’Donnell, P., & Lambert, M. J. (2012). An investigation of self-assessment bias in mental health providers. Psychological Reports, 110, 639–644.

Par Martin Drapeau, Ph.D., Université McGill

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