Dans un article percutant publié en 2007, Scott Lilienfeld soulignait à quel point les cliniciens et chercheurs portent peu attention aux psychothérapies qui nuisent aux patients. Ceci s’expliquerait par différents facteurs. D’abord, contrairement à ce que l’on observe en psychopharmacologie, il y aurait eu peu d’intérêt en psychothérapie pour les patients qui se détériorent, ceux-ci étant généralement considérés comme trop peu nombreux. Or, la recherche a démontré qu’entre 3 et 15% des patients vivent une aggravation significative de leur état. Par ailleurs, l’analyse des données issues de la recherche à propos de ces détériorations est complexe. En effet, certaines études ne font pas de distinction entre les patients qui présentent une détérioration en raison de la psychothérapie et ceux dont l’état s’aggrave pour d’autres raisons. Par ailleurs, trop peu de recherches prennent en considération le fait que certains patients qui ont présenté une amélioration significative en psychothérapie auraient en fait pu présenter une amélioration plus importante sans cette psychothérapie.
Dans son article, le Prof. Lilienfeld a donc cherché à identifier les thérapies qui nuisent (potentially harmful therapies). Ces thérapies étaient définies selon 3 critères. D’abord, la recherche a démontré qu’elles ont un effet néfaste sur le patient ou son entourage. Ensuite, ces effets négatifs persistent dans le temps. Enfin, cet effet iatrogène a été identifié par plus d’une équipe de recherche.
Ses travaux ont ainsi mené à deux listes de thérapies qui ont des effets négatifs significatifs et persistants.
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La première recense les thérapies qui ont un effet négatif probable chez certains patients. Elle comprend par exemple le critical incident stress debriefing, lequel peut mener à un stress post-traumatique chez certains patients. Les interventions du type Scared Straight ou de style boot-camp sont associées à des troubles du comportement. La facilitated communication est associé à de fausses accusations d’abus d’enfant, alors que les techniques de type recovered-memory sont associées à de faux souvenirs d’abus subis. Les thérapies telles le rebirthing sont quant à elles associées à un risque de décès et de blessures, alors que la DID-oriented therapy peut induire des « alter-egos ». La thérapie pour le deuil (grief counselling) lorsqu’utilisée avec des personnes vivant normalement leur deuil est associée à une augmentation des symptômes dépressifs, alors que les expressive-experiential therapies sont associées à une augmentation de la souffrance psychologique. Enfin, les programmes de type DARE sont associés à une augmentation de la consommation d’alcool ou d’autre substances.
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La seconde liste énumère les thérapies qui ont un effet négatif potentiel. On y retrouve les interventions de groupe offertes par les pairs pour les troubles du comportement, lesquelles sont associées à une augmentation des troubles du comportement, ainsi que la relaxation pour les patients souffrant de trouble panique, laquelle peut induire des attaques de panique.
Dans une étude récente, Williams et al. (2000) ont complété une série d’analyses statistiques afin de vérifier l’effet iatrogène de ces thérapies. Bien qu’ils n’aient pas été en mesure de faire des analyses poussées pour toutes les thérapies en raison de données statistiques insuffisantes, leur étude a démontré, contrairement à celle de Lilienfeld, qu’il était peu probable que les interventions portant sur le deuil - pour des personnes qui vivent normalement leur deuil - puissent avoir des effets négatifs. Pour les programmes de type DARE, les effets sont ambigus. Par contre, pour les programmes de style Scared Straight ou le Critical Incident Stress Debriefing, il semble clair que ces thérapies présentent un risque significatif pour les patients.
La psychothérapie a longtemps été considérée comme une intervention « douce », sans risque, contrairement à certains médicaments qui, trop peu étudiés avant leur mise sur le marché ou mal utilisés, peuvent causer des séquelles significatives ou la mort. La recherche nous démontre qu’il s’agit là d’une erreur : la psychothérapie aussi peut avoir des effets négatifs significatifs. Des études comme celles de Lilienfeld et de Williams et son équipe sont donc cruciales et devraient être systématiquement menées dès qu’un nombre suffisant d’études sur un nouvelle thérapie est disponible pour fin d’analyse. Le principe du primum non nocere (d’abord, ne pas nuire) doit aussi s’appliquer au domaine de la psychothérapie.
Références
Lilienfeld, S. (2007). Psychological treatments that cause harm. Perspectives in Psychological Research. Téléchargeable sur https://www3.nd.edu/~ghaeffel/Lilienfeld%20(2007).pdf. https://doi.org/10.1111/j.1745-6916.2007.00029.x
Williams, A. J., Botanov, Y., Kilshaw, R. E., Wong, R. E., & Sakaluk, J. K. (2021). Potentially harmful therapies: A meta-scientific review of evidential value. Clinical Psychology: Science and Practice, 28(1), 5–18. https://doi.org/10.1111/cpsp.12331
Martin Drapeau, Ph.D., Université McGill