Deux ombres de deux images dont les regards se croisent

L’attachement du thérapeute : un levier de l’alliance thérapeutique

L’alliance thérapeutique : un facteur clé en psychothérapie

L’alliance thérapeutique ne se réduit pas à une “bonne entente” entre patient et thérapeute. Bordin (1994) l’a conceptualisée autour de trois composantes :

  1. Le lien affectif : confiance, empathie, sentiment d’être compris.
  2. L’accord sur les objectifs : convergence entre ce que le patient souhaite atteindre et ce que le thérapeute propose.
  3. L’accord sur les tâches : définition claire et acceptée des étapes et méthodes de travail.

L’alliance thérapeutique peut être définie comme la collaboration mutuelle, le partenariat, entre le patient et le thérapeute, dans la visée de l’atteinte des objectifs fixés conjointement.

Cette alliance est un puissant prédicteur de l’efficacité thérapeutique, parfois plus que la technique ou l’approche utilisée. Autrement dit, toutes les méthodes perdent leur efficacité si le lien thérapeutique n’est pas solide.

La théorie de l’attachement : une clé de lecture

Pour comprendre le rôle du thérapeute dans cette dynamique, il faut revenir à la théorie de l’attachement développée par John Bowlby et Mary Ainsworth. Selon cette approche, nos premières expériences relationnelles façonnent des modèles internes de fonctionnement qui influencent nos relations ultérieures.

On distingue généralement trois grands styles d’attachement :

  • Sécure : capacité à faire confiance, à s’engager dans des relations, à réguler ses émotions.
  • Anxieux : tendance à rechercher une réassurance constante, peur de l’abandon, difficulté à réguler l’anxiété relationnelle.
  • Évitant : distance émotionnelle, difficulté à demander de l’aide, tendance à minimiser les besoins affectifs.

Si ces styles influencent la manière dont les patients vivent la relation thérapeutique, il est logique de penser qu’ils agissent aussi du côté du thérapeute.

Une méta-analyse parue en 2025 (Marín-Cavestany et al.) a compilé 23 études, dont 12 intégrées dans une analyse quantitative, portant sur plus de 700 professionnels de santé mentale. Voici ce qui en ressort :

  • Attachement sécure : les thérapeutes avec un style d’attachement sécure favorisent une alliance plus forte, plus stable et plus protectrice pour le patient.
  • Attachement anxieux : corrélé négativement avec la qualité de l’alliance, surtout lorsque l’évaluation est faite par les thérapeutes eux-mêmes (r = –0,31). Ces cliniciens peuvent craindre le rejet du patient, être trop préoccupés par leur performance, ou chercher une validation relationnelle qui interfère avec le processus.
  • Attachement évitant : les résultats sont plus contrastés. Certains travaux suggèrent que les thérapeutes évitants peuvent créer une alliance plus fragile, mais d’autres indiquent qu’ils s’ajustent mieux à certains patients eux-mêmes évitants.
  • Facteurs médiateurs : le lien entre attachement et alliance est modulé par l’optimisme thérapeutique, la sécurité dans le rôle professionnel, l’engagement dans le travail clinique et les stratégies de régulation émotionnelle.

En résumé, le style d’attachement du thérapeute n’est pas neutre : il peut colorer la manière dont celui-ci perçoit, construit et maintient l’alliance thérapeutique.

Ces résultats invitent à une réflexion profonde sur la posture du thérapeute et sur sa propre dynamique relationnelle. Voici quelques pistes concrètes pouvant être soulevées :

1. La réflexivité comme compétence clinique

Se connaître soi-même n’est pas un luxe, mais une nécessité professionnelle. Un thérapeute avec un attachement anxieux pourrait par exemple repérer sa tendance à se sentir personnellement remis en question par le moindre signe de retrait du patient. La conscience de ces mouvements internes permet de les travailler en supervision et d’éviter qu’ils perturbent la relation thérapeutique.

2. La supervision et la formation

La supervision clinique pourrait intégrer une dimension spécifique : explorer comment le style d’attachement du thérapeute se rejoue dans la relation avec ses patients. Des formations sur la régulation émotionnelle et la sécurité relationnelle peuvent renforcer la solidité de l’alliance, surtout chez les praticiens en formation.

3. L’importance de l’attachement sécure

Un thérapeute sécure n’est pas un thérapeute parfait, mais il dispose d’un socle relationnel stable qui favorise l’alliance. Le développement d’une sécurité interne (par la thérapie personnelle, la supervision, ou le travail réflexif) devient alors un enjeu de santé professionnelle autant que de qualité des soins.

4. La rencontre de deux attachements

L’alliance n’est pas seulement influencée par le thérapeute, mais par la rencontre entre deux styles d’attachement. Certaines combinaisons (par exemple, patient anxieux et thérapeute évitant) peuvent générer des difficultés particulières, mais aussi des opportunités de travail thérapeutique riches si elles sont conscientisées.

Cette recherche ouvre la voie à une approche plus intégrée de la psychothérapie : prendre en compte non seulement les vulnérabilités et ressources du patient, mais aussi celles du thérapeute.

Loin de remettre en cause la compétence des cliniciens, cela rappelle que nous sommes tous traversés par des modèles relationnels hérités, qui influencent notre pratique. Reconnaître ces influences permet d’en faire un levier thérapeutique plutôt qu’un obstacle.

Conclusion

L’étude de Marín-Cavestany et al. (2025) rappelle une vérité essentielle : le thérapeute est son propre outil de travail. Au-delà des techniques, ce sont ses qualités relationnelles, sa sécurité interne et sa capacité à créer une alliance solide qui peuvent déterminer l’efficacité de la psychothérapie.

Travailler sur son propre attachement ne signifie pas gommer ses vulnérabilités, mais apprendre à les reconnaître, les apprivoiser et les transformer en ressources cliniques.

Dans un monde où la psychothérapie est de plus en plus évaluée en termes d’efficacité, cette perspective nous invite à revenir à l’essentiel : la relation humaine, incarnée, imparfaite, mais profondément thérapeutique.

Sources

Bordin, E. (1979). « The generalizability of the psychoanalytic concept of the working alliance », Psychotherapy: Theory, Research, and Practice, vol. 16, 252-260.

Marín‐Cavestany, M., De la Cruz, M. Á., Durán, J. I., Stiles, B. J., Lahera, G., & Andrade‐González, N. (2025). Influence of Therapist Attachment Style on the Working Alliance in Individual Psychotherapy: A Systematic Review and Meta‐Analysis. Clinical Psychology & Psychotherapy, 32(1), e70025.

Par Vivien Crozet, psychologue clinicien

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